Chapitre 1.
LYDIE, 546 av. J.-C.
Gordias regarda par-dessus son épaule. Ils se rapprochaient de lui. Il serra le sac de pièces d'électrum contre sa poitrine.
Il était proche maintenant, si proche qu'il pouvait presque goûter l'or.
Il hésita un instant, pesant le pour et le contre. Avait-il le temps d'atteindre le tunnel ? Peut-être serait-il préférable d'emmener les autres, même si cela signifiait une mort certaine. Sa mission était de garder le trésor en sécurité.
Il se baissa derrière un rocher et regarda ses poursuivants.
Non, ils étaient suffisamment loin. Il atteindrait le tunnel sans se faire repérer.
Il respira profondément et essuya la sueur qui perlait sur son front. Sa gorge lui faisait mal et il sentait le goût du sang, mais il savait que c'était uniquement dû à l'épuisement. Il n'était pas blessé, du moins pour l'instant. Gordias savait qu'ils ne pourraient pas le suivre à travers les décombres et le sentier rocailleux creusé par les chèvres sauvages des montagnes.
Alors qu’il abaissait le sac de pièces, il entendit un bruit.
Gordias se baissa sous un buisson tandis qu'une chèvre de montagne passait devant lui en courant. Celui qui se rapprochait de lui avait effrayé la chèvre.
Sa seule arme était un couteau, et ses poursuivants étaient plus gros et plus forts que lui. De plus, il était largement dépassé en nombre, à l'exception de son poursuivant qui se rapprochait rapidement.
Gordias recula silencieusement sous les buissons. Ce faisant, des éboulis s'écrasèrent sur la paroi rocheuse juste au-dessus de lui. C'était la chèvre, mais peut-être que son poursuivant ne le savait pas. Il retint son souffle lorsque les jambes de l'homme apparurent, tout comme son épée courte qui se balançait à sa ceinture près de sa cuisse gauche. Gordias regarda les vêtements ostentatoires de l'homme avec désapprobation : un pantalon long multicolore et une cape violette et cramoisie éclatante.
Le pas du poursuivant s'accéléra et il se précipita sur le sentier à gauche d'où venait l'éboulement.
Gordias soupira de soulagement. Il souhaitait aller vers la droite. Il lui faudrait un certain temps avant que son poursuivant ne se rende compte qu'il poursuivait une chèvre, s'il le faisait un jour. Gordias retint son souffle et s'avança prudemment, au cas où les autres Perses seraient plus proches. Derrière l'abri d'un arbre, il observa une fois de plus le paysage. Il ne les voyait plus, mais il ne les entendait pas non plus et il était certain qu'ils n'avaient pas gagné beaucoup de terrain. Leurs vêtements de fantaisie seraient un obstacle sur les rochers.
Sur ce, il se pencha et courut vers la droite aussi vite que son fardeau de trésor le lui permettait.
Il faisait déjà nuit, le moment de la journée où il était le plus difficile de voir. Il savait pourtant que cela gênerait ses poursuivants autant que lui, et l’entrée du tunnel était bien cachée. Il avait aménagé un camp à l’entrée du tunnel, un lit de feuilles grossier et une réserve de provisions : des figues, du raisin, des pommes et du pain rassis. Il avait même un cratère à colonnes rempli de vin. Les soldats lydiens étaient aussi préparés que les Perses étaient flamboyants. Un filet d’eau coulait le long d’un rocher et s’accumulait au fond. Il pourrait y vivre un certain temps s’il parvenait à attraper du petit gibier de temps en temps.
Gordias connaissait bien le chemin qui y menait, car il était l'un des gardes confiés par Crésus lui-même. Les Perses ne le trouveraient pas là.
Son roi, Crésus, s'était retiré de la bataille sur la rive orientale du fleuve Pactole pour rejoindre la forteresse impénétrable de Sardes. Malheureusement, l'acropole s'avéra moins impénétrable, pas face à Cyrus le Grand et à la puissante armée perse. Ils avaient capturé Crésus, peut-être même l'avaient tué. Juste avant que l'armée perse ne s'empare de l'acropole, Gordias et d'autres soldats furent envoyés pour vérifier si les Perses avaient découvert le trésor à divers endroits. Gordias devait s'assurer que le plus gros de tous les stocks était en sécurité.
Gordias réfléchit à sa situation. Il était reconnaissant envers la chèvre. Peut-être lui avait-elle sauvé la vie. Il s'autorisa un petit sourire de satisfaction en passant devant un arbuste à fleurs jaunes et en contournant le coin.
Alors qu'il s'apprêtait à escalader un rocher, le sol trembla. Ce n'était sûrement pas un tremblement de terre ? Gordias avait déjà ressenti de légères secousses, mais celle-ci semblait plus forte. De plus, ce n'était pas comme si le sol tremblait, c'était comme si l'air lui-même tremblait autour de lui.
C'était peut-être pour cela que les oiseaux avaient brillé par leur absence cet après-midi-là. Gordias entendit quelques rochers tomber et espéra qu'ils tombaient sur ses poursuivants. Pourtant, il était sûr qu'ils étaient tous partis dans la mauvaise direction, mais d'autres allaient arriver. Que devait-il faire ? Il avait besoin d'aide et aucune aide ne venait. Le puissant empire lydien était tombé.
Gordias s'approcha de sa destination. Il devait maintenant escalader ce qui semblait être une paroi rocheuse verticale et il serait alors dans la grotte. Il se hissa, attrapa les prises qu'il savait être là et se jeta sur le rebord. Il regarda autour de lui pour s'assurer qu'il n'avait pas été vu avant de rouler dans la grotte.
Gordias recula à l'intérieur puis se leva. Il déposa son sac sur le sol avant d'étirer ses épaules et ses bras, endoloris par le poids du fardeau. Il abaissa le sac de pièces et sourit largement.
Il tremblait encore de sa fuite, mais il avait faim. Il prit une poignée de figues et les fourra dans sa bouche. C'est alors que le grondement se fit entendre à nouveau.
Il y eut un bruit violent, comme le tonnerre, et c'était comme si les murs se penchaient vers Gordias, se rapprochant de lui. Il mit ses mains au-dessus de sa tête en entendant des pierres tomber. Gordias se jeta contre le mur de pierre, terrifié, alors que tout continuait à trembler.
Des rochers sont tombés devant l'entrée de la grotte et l'un d'eux a atterri sur le rebord, bloquant la majeure partie de la lumière.
Gordias leva les yeux tandis que le toit de la caverne lui tombait dessus.
